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Ethyl _partie 1_

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Kahlan-Lilith's avatar
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    Le cimetière disparaissait sous la neige qui tombait mollement du ciel hivernal. Une jeune femme aux cheveux blancs, tête nue malgré le froid, alla se cacher derrière une imposante pierre tombale appartenant à un antique seigneur de guerre, certaine que les flocons effaceraient bientôt ses traces. Assise dos contre la dalle de marbre sculptée, elle sortit un livre à couverture de cuir de sa besace et l'ouvrit. Tout en lisant sous la lumière du levant et chassant les particules blanches se déposant sur le parchemin, elle resta autant que possible en alerte, écoutant le moindre son et limitant son souffle pour dégager le moins de buée possible. Certes cette vigilance accrue gênait beaucoup la compréhension des écritures du grimoire, mais si on s'apercevait qu'elle savait lire, elle pouvait dire adieu à sa couverture et au reste : les servantes ne connaissent pas les lettres, même si quelques unes sont capables de reconnaître les chiffres et nombres pas trop élevés.
Des pas crissèrent soudain dans la poudreuse ; la jeune femme rangea aussi sec son livre et ne bougea plus un muscle, retenant son souffle.
Ces pas appartenaient au seigneur Feuerstein, mage rouge de son état, qui venait visiter une sépulture non loin de celle qui servait de cachette à la discrète lectrice. En vérifiant s'il était bien seul, le mage perçut la chaleur dégagée par celle-ci.
« Pourquoi vous cachez-vous ? demanda-t-il.
Elle retint tant bien que mal un hoquet de surprise. Bon, puisqu'elle était repérée, il ne lui restait plus qu'à mentir ; elle se leva, se retourna, reconnu le seigneur et s'approcha de lui.
- Bonjour mon seigneur, le salua-t-elle respectueusement. Je ne me cache pas : je profite du silence.
- Et quel meilleur endroit pour ça… ajouta Feuerstein. Ne vous ai-je pas déjà vue ? Vos cheveux…
- Je suis Ethyl, votre nouvelle servante, mon seigneur, répondit la jeune femme en s'inclinant avec grâce. Vous êtes là pour pleurer quelqu'un, j'imagine.
Le mage rouge eut une demi seconde d'hésitation avant de hocher la tête. Ethyl avait vu juste, mais il n'allait pas expliquer pourquoi il voudrait se recueillir sur la tombe d'une jeune « dame bourgeoise » dont la famille s'était endettée bêtement en voulant faire enterrer leur fille près d'un seigneur de guerre quasi-légendaire.
- Permets-moi de te dire que tu as un drôle de nom, Ethyl.
- C'est que, vous voyez, juste au moment où je poussais mon premier cri, mon père s'est réveillé de ce que le guérisseur avait appelé un « coma éthylique ». Heureusement qu'il était là, le guérisseur, sinon on aurait enterré mon père vivant.
Tout en parlant, elle remarqua que les flocons de neiges fondaient aussitôt en entrant en contact avec la capuche du seigneur ; elle devait avoir reçu un enchantement contre le gel. Ceux qui sont versés dans les arcanes du feu sont frileux, c'est bien connu.
- Je vois, dit-il. Mais dis-moi, n'as-tu pas peur de te promener seule ? Je suis sûr que tu serais tout à fait du goût de ce tueur qui sévit depuis maintenant deux ans.
- L'ombre ? Elle n'attaque que la nuit, non ?
- C'est vrai, concéda le seigneur. Mais reste tout de même prudente. Tu vois cette tombe ? (Il désigna d'un geste la sépulture qu'il était venu visiter.) C'est celle de la dernière victime de l'ombre. Cette jeune femme a soudainement disparue et son corps n'a été retrouvé qu'une semaine plus tard et enterré hier. Et comme elle est la première victime bourgeoise, et non mendiante ou paysanne, on commence tout juste à s'inquiéter là-haut.
- Vous la connaissiez ? demanda Ethyl.
- … Pas vraiment.
La neige tombait dans les cheveux de la jeune femme, se confondant avec eux. Le froid était particulièrement mordant, pourtant elle demeurait tête nue et son manteau rapiécé semblait un peu trop léger pour la rigueur de cet hiver.
- Je dois aller travailler, dit-elle en effectuant deux pas vers la sortie du cimetière, s'enfonçant dans la poudreuse jusqu'au mollet.
- Tu diras bonjour de ma part à ton mari. Au revoir.
Ha oui, Ethyl avait oublié ce détail. Elle avait vingt ans, et à cet âge, les paysannes et servantes étaient déjà mariées et mères depuis quatre ans dans les villes et sept dans les campagnes.
- À vrai dire, maître, je n'ai point de mari. Il est mort, mentit-elle. Passez une bonne journée. »
Elle partit avant que le mage ne puisse ajouter un mot.


« T'es en retard, Etheule ! vociféra le chef cuisinier lorsqu'Ethyl parut dans la cuisine. Le seigneur reçoit aujourd'hui ; il faut mettre les petits plats dans les grands ! »
Elle acquiesça et se mit au travail sous les aboiements du chef. La jeune femme ne doutait pas un seul instant que le voix tonitruante de cet homme pouvait s'entendre jusque dans les appartements privés de Feuerstein, à l'autre bout du château, et même au-delà. Mais hors de question de faire la moindre remarque ; quiconque le vexait, vexait le maître des lieux. Ce dernier avait du jour au lendemain appris la mort de son père par un messager ayant déboulé sans prévenir en plein milieu de son école de magie.
Là où le père ordonnait de pendre sans discussion, le fils instaurait des tribunaux dignes de la lointaine Olay ; le peuple l'aimait beaucoup.
Le goût du mage pour la bonne nourriture lui inspirait un profond respect pour son chef cuisinier ; ce respect mêlé au fait que, en deux ans et demi de règne, il n'ait toujours pas choisi d'épouse parmi les proposition qui lui avaient été faites, permettait toutefois aux mauvaises langues du château de raconter nombre d'histoires.
Ethyl était parvenue à se faire engager comme aide-cuisinière au service de sa seigneurie une semaine auparavant, et avait dû apprendre très vite : il ne faudrait pas qu'elle perde son emploi avant d'avoir pu accomplir sa mission.
Désormais, elle commençait à s'intégrer dans le décor.

L'ombre, assise dans la paille d'une écurie, souriait. Le mystérieux tueur insaisissable n'aurait plus besoin de tuer pendant quelques temps, puis frappera à nouveau. Une jeune femme disparaîtra. Son corps froid ne sera retrouvé que quelques jours plus tard. Cela se passait toujours ainsi depuis deux ans.
Pourquoi ce délai entre le meurtre et la découverte du cadavre ? Lui-même ne pouvait le dire exactement. Ce qu'il savait, c'est qu'il avait besoin de challenge pour ne pas rouiller ; assassiner des mendiantes sans aucune sorte de protection était trop facile. De plus, le but n'était pas non plus de les décimer. Alors il avait commencé par les prostituées des maisons closes où il s'introduisait comme une ombre dans la nuit (d'où son surnom, sans doute). Puis dernièrement, à cette bourgeoise. Il aimait prendre des risques…
Le tueur se mit à rire. La famille ce cette jeune femme s'était saignée aux quatre veines pour acheter une pierre tombale à l'emplacement prestigieux, affichait leur deuil et leur affliction ; quand elle apprendra que sa chère fille exerçait à ses heures perdues la fonction de courtisane, elle affirmera sans doute n'avoir jamais connu cette personne.
Après avoir repris son sérieux, il s'allongea et s'enfonça dans la relative chaleur de la paille. De la neige dans le petit fief de Feuerstein : voilà une chose qui n'arrivait pas souvent, les pouvoirs de la pierre de feu éloignant en principe les températures permettant le gel de l'eau. Pourtant, c'était la deuxième fois de son histoire et la deuxième fois en vingt ans que cette fameuse pierre manquait à son travail ; c'était plutôt inquiétant… Le froid pourrait bien faire plus de victimes en un seul hiver que l'ombre en deux années entières si les choses continuaient ainsi.
Dehors retentissait la clameur d'un départ de procession vers la pierre de feu ; les paysans s'y rendaient en masse depuis les premières chutes de neiges, quelques jours auparavant, pour implorer Laoka, le dieu du feu, de leur accorder de nouveau sa protection. L'ombre ne savait pas s'il fallait rire ou pleurer.
Laoka régnait sur le feu, pas sur les humains ; pourquoi s'intéresserait-il à leurs problèmes ? Mais bon, quand on ne sait pas d'où le malheur vient, on a tendance à s'adresser aux dieux.
Les sickthings reconnaîtront certains noms et thèmes présents dans cette histoire (et comprendront ce que je veux dire par "sickthings" ^^") ;)
Frileux s'abstenir.
© 2010 - 2024 Kahlan-Lilith
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