Lune_ partie 1

Devant une petite sadwicherie dans le centre d'une ville moyenne, une jeune femme toute de noir vêtue passa devant un groupe de quatre ou cinq adolescents qui discutaient et crachaient bruyamment. Ils stoppèrent alors leur conversation une seconde, puis l'un d'eux déclara :
« Highlander is back ! », sûrement à cause du manteau de la dite jeune fille, qui lui descendait jusqu'aux chevilles.
Bien que celle-ci ne pouvait qu'avoir entendu la remarque, elle ne sourcilla même pas, ignorant superbement la bande et continuant son chemin vers la sandwicherie. Le vendeur la salua et lui donna directement un grand sac en papier au nom de son commerce. Après avoir payé, elle alla s'installa sur un banc à quelques mètres de là, posa son sac à côté d'elle et attendit en jouant avec sa tresse d'ébène.
Un homme d'environ une quarantaine d'années présentant une calvitie ressemblant vaguement à une tonsure de moine s'approcha du banc et aborda l'adolescente d'un :
« On se croirait dans Matrix.
-Vous les avez tous vus ? répondit-elle.
Un court silence et un regard entendu suivirent. Il s'assit sur le banc et à droite du sac, de façon à ce que celui-ci se retrouve entre elle et lui. Puis il jeta un œil dedans : il contenait cinq sandwichs de bonne taille, cinq parts de gâteau au chocolat et deux bouteilles d'eau.
-Je croyais que nous devions être seuls, ne put s'empêcher de faire remarquer le quadragénaire à la vue de tant de victuailles.
-Nous sommes seuls, affirma-t-elle, autant qu'on puisse l'être en ville à l'heure du déjeuner. Prenez votre sandwich, et mangez-le avant que je ne le fasse. En plus, j'ai tendance à ne pas faire confiance aux gens qui ne mangent pas. Vous devinez peut-être pourquoi…
L'homme choisit au hasard dans le paquet, prit une première bouchée, l'avala et dit :
-Déformation professionnelle, peut-être… Question idiote : pour qui sont les trois repas en trop ?
-Quels repas en trop ? (Devant l'étonnement du « tonsuré », elle expliqua) Nous mangeons tous comme quatre. Mais tout ceux qui mangent comme quatre ne sont pas des nôtres.
La fille en noir se servit à son tour dans le sac en papier et commença à manger.
-Je ne m'attendais pas à ce que vous soyez aussi jeune, Kuu, chuchota l'autre. Bref, venons-en au fait. Si vous me ramenez la cible, je vous offre un million.
La dénommée Kuu faillit s'étouffer avec son pain ; heureusement pour elle, elle parvint à ouvrir l'une des bouteilles d'eau et boire à temps.
-Un million ? C'est une cible de premier choix, dîtes-moi ! Question un : de qui s'agit-il ? Question deux : vous avez le million ? Vous n'avez pas intérêt à me rouler, croyez-moi.
La jeune femme fixa son interlocuteur de ses yeux gris argent comme pour tenter de déceler un éventuel mensonge. Si elle ne semblait pas avoir beaucoup plus de dix-huit ans, son regard semblait venir du fond des âges, d'un temps où les humains regardaient encore la Lune avec la crainte qu'à force de grossir, puis diminuer et disparaître, elle finisse par ne jamais revenir.
L'homme se pencha par-dessus la nourriture pour chuchoter à l'oreille de Kuu :
-Sélène.
Elle se mit à sourire aux anges. On pouvait voir dans on regard qu'elle avait une furieuse envie de sauter de joie et crier partout, mais la contenait autant que possible.
-Vous ne pouvez pas savoir à quel point j'attendais ce moment… »